Histoire de CC : le Celebrated Razor de Joseph Elliot & Son

… et hop : 'core un Sheffield dans l'escarcelle disais-je…

manufacturé par Joseph Elliot & Son¹, celui-ci.

C'est un 6/8 légèrement ( pas de trace lourde sur l'épaulement ) diminué par les affûtages ; extra-évidé, à double émouture et manche en os ; ou dans un bois non identifié, très dur et pourvu d'une structure vraiment singulière. Mais en tout cas, pas en matière synthétique.



Livré sur un SR correct, il a manifestement vécu mais la restauration de la lame est propre. Les traces résiduelles d'ancienneté ne nuisent ni à l'esthétique ni à la performance. Poussant les choses un peu plus loin, je récupèrerai alors un poli un peu plus pur de la lame. De même - après ponçage et pose d'une nouvelle peinture + vernis - qu'une châsse débarrassée de coups de pinceaux et autres bulles, révélant ainsi la structure de la matière et uniformément recouverte.

Une fois son fil légèrement rafraîchi sur coticule, ce rasoir procure le rasage doux mais très efficace qu'on est en droit d'attendre d'un Sheffield. D'un très bon sheffie, même. Il est par ailleurs bien équilibré, et le nez carré fait le travail de détail sans agresser la peau du bord supérieur de la moustache.

Bref, ce n'est pas le plus esthétique de mes coupe-choux - je n'ai pas dit que c'était une bouse non plus, hein… - mais quelle bête !

JOSEPH ELIOTT & SON

L'origine de cette entreprise est attribuée à Joseph Elliot, à la fin du 18^ième siècle ; et sa première inscription à l'annuaire remonte à 1822 pour Joseph Elliot ( fils ? ), fabricant de rasoirs basé à Sambourn Square. Trois ans plus tard, l'entreprise déménage à son adresse du 19^ieme siècle : Hollis Croft.

Sa marque, accordée dès 1805, est et restera une croix maltaise encadrée par deux 'C'. Elle est enregistrée en tant que marque déposée le 4 juillet 1876.



En 1856, Joseph est rejoint par son fils aîné, Joseph Edwin Elliot, et l'entreprise est rebaptisée Joseph Elliot & Son. Désormais répertorié en tant que marchand et fabricant, Elliot vend alors des rasoirs, des couverts de table, des couteaux pliants et des ciseaux.

En 1881, 110 personnes sont employées ; et des auteurs spécialisés tiennent pour probable qu'Elliot fabrique alors, et entre autres, le rasoir «Kropp» pour un détaillant londonien. Je reviendrai tout prochainement sur ce dernier point.

Vers 1900, l'entreprise rachète les actifs d'Allen & Son - qui comprenait les trois croix maltaises constituant la marque déposée - et renomme l'usine Hollis Croft en Granville Works, ancien nom d'usine d'Allen. Hollis Croft est toutefois restée l'adresse officielle de l'entreprise pendant la Première Guerre mondiale, lorsqu'elle fait la publicité de la plupart des types de couteaux : couteaux à découper, couverts de poche, vaisselle de table et vaisselle.



En 1919, Elliot's est incorporée dans le cadre de Sheffield Cutlery Manufacturers Ltd, une fusion dirigée par Needham, Veall & Tyzack, et devient, en 1921, «Ltd». Mais la fusion s'avère boiteuse, Eliott's devant entre autres fournir un soutien à Lockwood, une composante du groupe dont elle reprend le site de Spital Hill en 1923. En 1926, Elliot se retire de l'association et récupère le site de Thomas Ellin - Sylvester Works - au n°1 de la Sylvester Street. En 1927, une société à responsabilité limitée - Joseph Elliot & Sons (Sheffield) Ltd. - est créée.



Elliot's acquiert une plus grande importance après 1945, le déclin de l'industrie à Sheffield ayant considérablement réduit le nombre de concurrents ; lesquels ont par ailleurs abandonné une manne de marques dès lors disponibles. En plus d'acquérir celles d'Ellin, Elliot achète celles de James Barber, Thomas Renshaw, John Wigfall, John Wilson et Lockwood Bros. Ellin et Lockwood Bros. restant toutefois des marques autonomes jusqu'n 1952 au moins.



Les propriétaires s'appuient ensuite sur Arthur Revitt, qui avait commencé dans les ateliers de broyage de l'entreprise avant d'en devenir le directeur. En 1972, W. D. Slater (de Herbert M. Slater) et Jack Taylor rachètent Elliot's ; qui était alors l'une des dernières entreprises de Sheffield à préserver les méthodes traditionnelles. Des forgerons au sens plein et des meuleuses traditionnelles étaient encore actifs chez Elliot dans les années 1970 et au début des années 1980 ; mais on n'y fabriquait plus que des couteaux de chasse et de poche.

Jack Taylor prend sa retraite en 1986 et Arthur Revitt vers 1990 : la production cesse alors à Sylvester Works, et l'entreprise est dissoute en 1998.

DATATION DU RASOIR

Là, tu te dis : fastoche, grâce aux variations de raison sociale il y a de quoi faire dans la datation pour les nuls. Ben non. Parce que le marquage de l'exemplaire concerné est du type le plus répandu : JOSEPH ELLIOT'S.



Ok, le 'S situe l'histoire postérieurement à l'intégration de & Son dans la raison sociale… dès 1856... elle a de sacrées dents, la fourchette……      

Par ailleurs, la désignation Celebrated Razor ne dit pas grand' chose : elle est courante à Sheffield sur une large plage de temps.

Le style de la lame, lui, est disparate. Reprenant un bord de soie inférieur courbe qui tendrait à le rapprocher du milieu du 19^ième siècle, la lame n'en présente pas moins un évidement impressionnant servi par une double émouture dont les créneaux et la soie - côté droit, surtout - révèlent pourtant quelque irrégularité et deux traces d'à-coups. On pourrait donc se trouver devant une lame ayant reçu cette forme sans passer par une machine de type Hexe, mise au point par l'Allemand Ern en 1893 pour la reproduire plus rapidement, en plus grand nombre et de façon standardisée.



La chose serait d'autant moins impossible qu'il n'est nulle-part fait mention du pays d'origine. Ce qui le daterait antérieurement au Tariff Act de 1891, et à l'Arrangement de Madrid première mouture datant de la même année ( 14 avril ). Hypothèse soutenue par la présence systématique de cette mention, sous ses formes légales successives, sur des lames formellement plus tardives produites par la société.




La châsse, on l'a vu, n'est pas en matière synthétique. Je pense à de l'os, mais ne dispose pas des compétences voulues pour être formel. Sa restauration a laissé apparaître une matière gris-moyen qu'une aiguille chauffée n'entame pas, présentant des irrégularités en forme de petites bulles et quelques manières de veinures en relief, très fines et de tracé irrégulier. Quoi qu'il en soit, ça n'est pas davantage standardisé que la lame.

L'un dans l'autre, fixer la marge supérieure de datation antérieurement à ~1891 me paraît présenter un risque d'erreur minime. Pour la marge basse, on retiendra donc 1856 sans risque de se tromper².




Mais l'évidement, surtout, m'incite à remonter à ~ 1870 au plus tôt, voire ~ 1880. C'est plus plausible, et ça peut expliquer l'impression d'entre-deux que laisse l'observation de ce rasoir : on est là à une période charnière qui voit le CC acquérir progressivement les caractéristiques dominantes des productions du 20^ième siècle.

Au final, il me paraît raisonnable d'en rester là : ~1870 à ~1890.

En rappelant, comme toujours, que cet exercice reste le plus délicat de ce genre de recherche qui, elle-même, impose l'humilité au moment de conclure. Ainsi, et quelle qu'ait pu être la rigueur mise dans le travail, une ou plusieurs erreur(s) peu(ven)t s'y être glissée(s) dont je vous serai reconnaissant de bien vouloir me faire part le cas échéant.

Voilà voilà. En espérant vous avoir apporté quelque chose, je vous souhaite la bonne journée et vous donne rendez-vous à ( très ) bientôt pour de nouvelles 'z'aventures sheffieldiennes !




---oooOooo---

NOTES

1. L'organisation de l'industrie du rasoir droit à Sheffield est du genre complexe. Entre autres parce que cette marchandise est alors exclusivement fabriquée à la commande, de telle sorte que le personnel y-affecté est d'autant plus souvent indépendant qu'il est plus spécialisé. Un Maître broyeur peut ainsi travailler chez Elliot's quelques jours après avoir achevé une commande chez W&B ou Wostenholm. Outre la douceur avérée de l'acier, nos collègues britanniques ont ainsi tendance à avancer que les lames Sheffield parvenues jusqu'à nous doivent - aussi - leur excellente réputation au fait que les meilleurs artisans ont peu ou prou travaillé pour toutes les entreprises… tandis que le travail des autres et les éventuels ratés des premiers ont fini recyclés en fourchettes, sinon à la décharge, au fil des années.

2. Le vendeur la situe avant 1840. Trompé par les aspects esthétiques ? Certes est-il toujours délicat d'énoncer des certitudes en la matière, mais on se limitera à laisser 0,1 % de chance à cette possibilité, pour sauver la forme.

SOURCES

Documents :

http://www.anwealde.com/razors/bothlummus.pdf

Sites :

https://calmview.eu ( Sheffield Archives’ online catalogue )
https://gracesguide.co.uk
https://leretourducoupechou.com
https://sharprazorpalace.com
https://shavinguniverse.com
http://sheffieldcutlerymap.org.uk
https://sheffieldhistory.co.uk
http://strazors.com
https://trademarkia.com

Iconographie :

Geoffrey Tweedale sur
et
http://sheffieldcutlerymap.org.uk
Jim2000 sur https://sheffieldhistory.co.uk

Belle histoire, un bel objet de plus de 150 ans

J'ai également apprécié cette lecture.
Merci pour le partage.

Moi de même, beaucoup de plaisir à te lire et superbement illustré.

Bravo pour la recherche et merci pour cet article.

Merci de nous partager le fruit de tes investigations. Un véritable travail d'enquête !!!    

Belle façon de célébrer ton anniversaire.